Eau: TAM-TAM pose des questions à SRL
Quelle est la situation de l’eau en Limousin et l’eau pourrait-elle arriver à manquer en Limousin ?
“La situation de l’eau dans notre région résulte aujourd’hui d’un hiver et d’un printemps relativement peu arrosés. Ceci est problématique en Limousin puisque, ne bénéficiant pas de nappes phréatiques, il faut de la pluie pour réalimenter nos réserves d’eau de surface, nos zones humides et nos circulations souterraines. La sécheresse actuelle qui semble devenir chronique, fait donc courir un risque de pénurie d’eau dont les véritables causes sont à rechercher dans le réchauffement climatique, la bétonisation des sols et leur artificialisation, l’élevage industriel, l’agriculture irriguée, la destruction des zones humides et la multiplication des étangs.
A l’heure du réchauffement climatique, comment gérer la multiplication des conflits d’usage de l’eau ?
La question majeure va être de savoir comment répartir une ressource de plus en plus rare entre des utilisateurs de plus en plus gourmands en eau : industriels, agriculteurs, collectivités locales, ménages.
Une vraie planification s’impose avec des priorités clairement énoncées et une condition : chacun doit payer ce dont il est responsable vis-à-vis de la société. Le système des redevances de l’eau géré par les Agences est à revoir complètement et le prix de l’eau doit augmenter pour refléter sa rareté croissante. Faisons payer pour toute consommation d’eau à son juste prix, pour toutes les atteintes à la ressource, rémunérons tous les services rendus à sa protection, cela incitera les acteurs à opter pour des activités rentables. Il y a trop de passagers clandestins consommant de l’eau gratuitement, privatisant les bénéfices et socialisant les coûts.”
La question des étangs est un sujet majeur pour la gestion écosystémique. Peut-on envisager de les utiliser comme réserve ?
“Il y a environ 22 000 étangs en Limousin qui parasitent les têtes de bassins et entraînent de nombreuses conséquences néfastes en aval.
Une solution simple pour améliorer la situation serait de supprimer les étangs inutiles voire illégaux ou non conformes pour reconstituer des zones humides. Il est en effet aberrant de faire passer en surface des eaux souterraines qui maintiennent l’humidité des sols pour les laisser s’évaporer à l’air libre.
Toutes les études scientifiques montrent que, dans le cadre de sécheresses longues comme celles qui se précisent avec le réchauffement climatique, le stockage d’eau de surface se révèle inefficace du fait des pertes par évaporation et des perturbations du cycle de l’eau résultant de cette artificialisation des écosystèmes.
La vraie solution réside dans la réduction de la demande en eau et dans la restauration des milieux naturels.”
L’agriculture intensive se développe et certains acteurs du monde agricole demandent des réserves d’eau, des bassines. Peut-on en implanter en Limousin ?
“Sources et Rivières du Limousin dénonce depuis de longues années le mythe des réserves d’eau que l’on remplirait à la saison des pluies pour s’en servir en été au moment de l’étiage de la plupart des cours d’eau à des fins d’irrigation ou d’abreuvage du bétail.
On ne répétera jamais assez que de telles retenues d’eau (retenues collinaires, retenues de substitution, étangs, barrages), ne constituent pas la solution mais le problème !
Les étangs en Limousin en sont une bonne illustration : en leur absence, il y aurait toujours de l’eau dans les ruisseaux et rivières des bassins versants concernés.
Mais plus fondamentalement, ce dont on a le plus besoin aujourd’hui n’est pas tant une agriculture technoscientifique, qu’une vraie agriculture paysanne et familiale qui sera capable de nourrir correctement la planète entière, ce que ne sera pas capable de faire le modèle agricole productiviste.L’agriculture paysanne familiale pourrait garantir la sécurité alimentaire pour tous, préserver la biodiversité et les écosystèmes dans le long terme, à l’inverse de l’agriculture industrielle qui détruit et pollue les sols, l’air et l’eau, menace la biodiversité. Le Limousin n’a pas vocation à se lancer, comme on en voit les prémisses aujourd’hui, dans l’aventure de l’agriculture productiviste (augmentation des surfaces, arrachage des haies, élevages industriels, irrigation…).
Il serait souhaitable de soutenir enfin comme il se doit une agriculture paysanne familiale qui, sur les principes de l’agroécologie, constitue le seul modèle agricole à la fois efficace et soutenable pour nourrir le monde. De façon générale, sans remplacement du modèle agricole productiviste actuel, il n’y aura pas de solution au problème de l’eau et des sécheresses chroniques qui se profilent à l’horizon.”
En résumé, pour Sources et Rivières du Limousin (SRL), comment gérer l’eau en Limousin pour répondre aux défis du dérèglement climatique, à la perte de biodiversité ?
“Il faut avant tout inverser les finalités de l’activité économique. La solution ne réside pas dans l’adaptation de la ressource en eau à la satisfaction de désirs illimités mais dans la démarche inverse : compte tenu de la raréfaction de l’eau, quel type d’activité faut-il privilégier, quels produits faut-il mettre sur le marché, quels gaspillages faut-il éviter… ?
Une croissance infinie dans un monde fini n’est pas possible et la sobriété dans l’usage des ressources est inévitable si on veut éviter la catastrophe annoncée. Sans changement profond de nos modèles de production et de consommation, il n’y aura pas de solution au problème de l’eau.
Cela implique également une reconsidération radicale de notre vision de la démocratie qui consisterait à passer à la démocratie participative avec relocalisation de l’économie mondiale. Il s’agit de concilier démocratie et écologie autour des biens communs environnementaux entendus comme réappropriation de biens accaparés par une oligarchie marchande qui ne pense qu’à s’enrichir.”
Entrevue avec Jean Jacques Gouguet, président de Sources et Rivières du Limousin,
dans TAM TAM, le bulletin de la Maison des Possibles